Scuf Nomad, une manette pour iPhone un peu plus clivante que d’habitude

Pour le boulot, j’ai eu l’occasion de tester la manette Nomad, de chez Scuf. C’est une société spécialisée dans les manettes pour les joueurs expérimentés, prêts à mettre parfois des centaines d’euros, et si au premier abord elle ressemble à une Backbone One, elle est assez différente en pratique.

Dans les points communs, on peut noter le prix (110 € chez Scuf, 120 € chez Backbone) et le format berceau. Dans les deux cas, on place l’iPhone entre les deux parties de la manette, avec une barre centrale extensible. Je vous renvoie directement vers les essais des différentes versions des Backbone One (USB-C, v2, mon premier essai et celui de la version PlayStation) et éventuellement vers celui de la manette de Nacon, mais je vais détailler pourquoi je trouve cette Nomad excellente mais clivante.

La manette avec un jeu

Le premier point, c’est l’agencement. Dans le monde des consoles, il y a généralement deux agencements qui sont presque philosophiques. Le premier agencement est symétrique : les deux sticks analogiques en bas, la croix directionnelle et les boutons en haut. C’est le choix de Sony depuis plus de 25 ans. Le second est asymétrique : le stick gauche en haut, le stick droit en bas, et donc la croix en bas et les boutons en haut. C’est le choix de Microsoft depuis ses débuts dans les consoles, et de Nintendo depuis la Switch. La manette de Scuf ne reprend pas ces deux agencements, mais propose un troisième : les deux sticks en haut, la croix et les boutons en bas. C’était le choix de Nintendo avec la Wii U et c’est donc assez rare. Au passage, les sticks analogiques sont à effet Hall, ce qui évite le drift et l’usure.

Vous vous souvenez de la Wii U ?

Scuf a choisi une croix directionnelle complète (avec les diagonales) mais n’a visiblement pas pu trancher entre les capuchons convexes et concaves. Vous aurez par défaut du concave, mais des versions de remplacement convexes dans la boîte. Personnellement, je préfère les seconds. Le changement nécessite de forcer un peu, mais vous ne le ferrez probablement qu’une fois.

On a des sticks de remplacement dans la boîte

Dans l’ensemble, la manette tient bien en main, et on a tout ce qu’il faut pour jouer. Elle est un peu plus large et épaisse sur les poignées que la Backbone One, ce qui est plutôt positif. Vous retrouverez les gâchettes classiques (avec deux analogiques), des sticks cliquables et les boutons standards d’iOS. Mon seul bémol vient de la position des boutons supérieurs (Home à gauche, un bouton Scuf à droite) : ils sont peu accessibles et j’ai pratiquement à chaque fois bougé les sticks au moment de les presser. Il y a aussi deux palets à l’arrière, j’en parlerais plus bas.

Face à ma Backbone One

Le choix du Bluetooth n’est pas le meilleur

Les manettes Backbone sont filaires, en USB-C ou en Lightning. La manette de Scuf est en Bluetooth, ce qui a peu d’avantages en pratique. Le premier est économique : elle s’adapte à tous les iPhone. Si vous avez acheté comme moi une manette Backbone Lightning, elle ne fonctionne pas avec un iPhone 15 en USB-C. Le second va venir d’une compatibilité native avec l’iPad, l’Apple TV ou les Mac. C’est un des défauts des manettes USB-C ou Lightning : dans le meilleur des cas, vous devrez brancher un câble pour les relier à un Mac ou un iPad, mais l’Apple TV n’a pas de port USB. Ici, elle fonctionne dans tous les cas de figure possible si vous avez du matériel Apple. Elle n’est en effet pas compatible Android, mais ce n’est pas un défaut pour moi.

On peut insérer facilement l’iPhone

Le troisième avantage est théorique, on va dire : l’iPhone s’insère plus facilement dans la Nomad que dans une manette Backbone parce qu’il ne faut pas essayer de mettre la prise USB-C dans l’emplacement. Dans les faits, il y a tout de même deux soucis. Premièrement, les manettes filaires réagissent directement, alors qu’ici il faut allumer la manette et attendre la connexion (quelques secondes). Deuxièmement, elle peut parfois se connecter au mauvais appareil. Dans mes essais, elle s’est parfois connectée au Mac, même avec l’iPhone à proximité. Et la seule solution que j’ai trouvée a été de se déconnecter manuellement du Mac, ce qui n’est pas pratique.

Maintenant, les défauts. Le premier est assez théorique : la latence. Sur le papier, elle est plus élevée. En pratique, avec un iPhone normalement à quelques millimètres, ça ne pose pas de soucis. J’ai tenté de vérifier si la latence augmentait en utilisant un casque audio, mais je n’ai rien noté de sensible avec mon casque Beats Solo Pro ou des AirPods 3. Encore une fois, vous serez normalement assez proche des écouteurs dans ce cas. Sur un Mac avec une souris, un trackpad, un clavier et un casque, on commence à sentir une certaine lourdeur dans les commandes, mais le Mac mini M1 est médiocre à la base en Bluetooth et c’est assez irréaliste dans la pratique (d’ailleurs, en temps normal, j’utilise le clavier et le trackpad en filaire). Je peux imaginer que certains vont râler sur la latence, mais mon expérience du domaine tend à me faire penser que c’est en partie une posture plus qu’un vrai ressenti.

La croix

Le principal défaut, surtout, c’est que le Bluetooth implique une batterie, sans permettre de charger l’iPhone. L’autonomie annoncée est de 16 heures, avec 20 minutes de charge en USB-C pour atteindre le maximum. Je ne peux pas le vérifier (je n’ai pas joué 16 heures sans m’arrêter) et la manette se met en veille assez vite (5 minutes par défaut, on peut monter à 30 minutes par pas de 5 minutes). La marque a mis un câble USB-C vers USB-A (un classique) dans la boîte, mais vous aurez besoin d’un chargeur (ou d’un Mac). Bonne nouvelle, elle charge en USB-C PD, ce qui n’est pas systématique sur les objets connectés. Le défaut direct de la présence d’une batterie, c’est le poids : elle est assez lourde. Ma Backbone One v1 (USB-C) pèse 139 grammes, on est à 227 grammes avec la Nomad. C’est en partie parce qu’elle est plus grande, mais ça reste notable.

Les boutons

Le second défaut lié à la batterie, c’est qu’on perd la possibilité de charger l’iPhone pendant une partie. Sur certains jeux récents, c’est un problème : ils vident la batterie d’un iPhone 15 Pro à vitesse grand V. Par rapport aux Backbone One, on perd aussi la sortie audio. Même si celle de la version Lightning n’est pas sans défaut (la puissance en sortie est trop élevée), avoir la possibilité de brancher un casque filaire reste un avantage. Ici, on peut juste brancher un casque Bluetooth, vu que la prise Lightning ou USB-C n’est pas accessible, et on prend le risque d’augmenter la latence sur le papier.

La prise USB-C de charge

Pour terminer avec les défauts, la manette ne vibre pas. Dans la pratique, ce n’est pas grave : aucune manette berceau ne le propose avec les iPhone et il reste possible d’activer le retour haptique de l’iPhone. Qui plus est, les jeux iOS prennent de toute façon rarement en charge les vibrations.

Tout ceci peut paraître un peu sévère, et ça l’est. Dans la pratique, ce sont de petits défauts pratiques qui ne sont pas rédhibitoires. Mais nous sommes ici devant une manette à 110 €, donc je préfère le noter.

Les palets et l’application

Scuf est une marque spécialisée dans les manettes pour les joueurs qui veulent des trucs en plus, et il y a donc deux palets à l’arrière. Selon votre façon de tenir la manette, ils tomberont sous les majeurs (si vous serrez les doigts), les index (si vous êtes dans un jeu qui a besoin de la croix et des boutons uniquement)… ou ils ne seront pas accessibles si vous avez l’habitude de tendre les majeurs. Dans tous les cas, vous pourrez assigner n’importe quelle fonction aux deux boutons dans les réglages d’iOS ou macOS. Le fonctionnement est le même que pour la manette Elite de Microsoft : dans Réglages -> Général -> Manette de jeu, vous pouvez Ajouter un profil (tout en bas si comme moi vous avez plusieurs manettes) et choisir les fonctions. Le bouton M1 est à droite, le bouton M2 à gauche.

Les palets dorsaux


Les réglages d’iOS

Scuf met aussi en avant que son application est gratuite, pour une seule raison : celle de Backbone est payante, sur abonnement. Elle permet de lancer des jeux rapidement, d’en découvrir de nouveaux et d’effectuer de nombreux réglages.

Des jeux



On peut donc mettre à jour le firmware, définir les fonctions du bouton Scuf (qui fait des captures d’écran par défaut) ou régler le délai de mise en veille. On peut aussi surtout gérer les profils avec une interface plus jolie que celle de l’OS, même si les fonctions sont les mêmes pour l’assignement des boutons. Mais l’application permet aussi des réglages très fins sur les sticks analogiques et les gâchettes analogiques. Les réglages sont à peu près les mêmes, avec d’abord la valeur de la zone morte. Il s’agit de la zone dans laquelle la partie analogique ne réagit pas. C’est utile si vous tremblez un peu, par exemple : en l’augmentant, il faudra faire un mouvement assez ample pour activer la fonction. Elle est réglée par défaut à 2 %, avec 15 % au maximum. Dans les faits, c’est quand même plus sensible sur les gâchettes que les sticks.


L’autre point va venir des courbes de sensibilité. Il y a quelques possibilités, qui s’expliquent bien avec les gâchettes. Si vous pressez la gâchette à une pression constante, en mode linéaire, vous verrez les valeurs qui varient de façon constante entre 0 et 100. En mode exponentiel, les valeurs bougent peu au départ et rapidement à la fin, alors qu’en mode agressif (par défaut sur les gâchettes), tout va bouger rapidement assez vite et vous atteindrez pratiquement le maximum avant d’avoir atteint le bout de la course de la gâchette. Enfin, en mode dynamique, l’accélération est rapide au début, puis il y a un plateau et enfin une accélération. Pour les sticks analogiques, le fonctionnement est le même mais avec un réglage linéaire par défaut.




On peut voir les valeurs avec des outils

Tout ceci m’amène au problème de la manette : la cible. Il faut vraiment que je sois clair : c’est une manette bien construite, efficace, qui n’a pas de défauts rédhibitoires. C’est un peu logique à 110 € (on est quand même au double d’une manette de Xbox Series ou de PlayStation 5, qui intègre plus de technologies), mais il faut le dire. Pour autant, elle ne cible pas tout le monde. Si vous avez envie de tester des émulateurs ou de profiter des jeux Apple Arcade, ce n’est pas nécessairement le meilleur choix. Elle vise plutôt les amateurs de FPS ou de jeux AAA sur iPhone 15 Pro (ce sont souvent les mêmes). L’agencement atypique, les palets à l’arrière ou les réglages très fins sur les sticks analogiques ne sont pas des options pour un joueur lambda (et je ne dis pas ça de façon péjorative) mais pour des hardcore gamer. La Nomad est vraiment une manette Scuf, en fait : une manette qui vise un public particulier, avec des demandes particulières. Le service rendu est excellent, mais pas toujours nécessaire. Et je me pose la question de l’existence de cette niche chez les utilisateurs d’iPhone.

J’en parlerais probablement un jour plus longuement, mais on retombe dans un travers courant chez Apple : on peut considérer qu’un iPhone 15 Pro est un bon appareil pour les joueurs parce qu’il a les performances d’une PlayStation 4 dans un format compact… mais aussi considérer que — justement — il a les performances d’une PlayStation 4. Pourquoi acheter un iPhone à 1 200 € et une manette à 110 € pour jouer à des jeux qu’on a déjà probablement sur une console dans une version moche ? Ou pour parler de la manette, pourquoi aller vers une manette avec des fioritures de ce type pour cinq jeux AAA où le problème principal ne va pas être la courbe de la gâchette analogique mais le framerate ?

Le dernier point, paradoxal, c’est qu’elle va probablement trouver un public plus large que sa cible pour une raison simple : elle est bien positionnée sur le plan tarifaire, alors que les manettes Scuf classiques sont souvent (très) onéreuses. Les manettes de Razer (les Kishi) ou les Backbone One valent plus que la Nomad, et elles offrent à peu près la même chose. Donc vous pouvez parfaitement acheter une Nomad, ne jamais toucher aux réglages, oublier les palets et profiter de vos jeux.