Le Keynote de la semaine dernière a soulevé un point intéressant : le logiciel — et plus généralement le service — est-il encore une source de revenu pour Apple ? On a souvent comparé Apple à Microsoft, pourtant les deux sociétés diffèrent (de plus en plus) sur un point : la source des revenus. En effet, Microsoft gagne essentiellement de l’argent sur ses ventes de logiciels et Apple de plus en plus sur ses ventes de matériels, au détriment du logiciel, justement. C’est une approche intéressante à analyser.
Prenons le cas d’Apple il y a 3 ans, un peu avant Snow Leopard : Mac OS X valait 130 €. iLife pas loin de 100 €. MobileMe aussi. Mac OS X Server était proposé 500 €. Les mises à jour de l’iPod touch valaient 10 ou 20 €, etc. Apple vendait donc pas mal de services et de logiciels à des prix finalement assez élevés. Sans tomber dans les travers de Microsoft, le budget logiciel d’un utilisateur de Mac était tout de même assez conséquent sur une année.
Maintenant, regardons en 2011 : Mac OS X à 24 €, iLife à 15 € par application, MobileMe gratuit ou presque, Mac OS X Server à 40 € et offert sur le Mac mini Serveur, les mises à jour de l’iPod gratuites, etc. Globalement, les logiciels et les services Apple sont beaucoup moins onéreux, sans que la qualité diminue réellement et avec parfois même plus de possibilités.
Sans revenir sur le débat, on voit aussi qu’Apple gagne assez peu d’argent sur les applications et que les sacro-saints 30 % de dîme prélevés par Apple sur les applications servent essentiellement à faire fonctionner correctement le magasin en ligne et surtout à financer les applications gratuites : la bande passante n’est pas gratuite et Apple s’en tire raisonnablement sur le coup. Je ne suis même pas certain que les 24 € d’un Lion vont couvrir les transferts nécessaires pour le téléchargement et tout ce qui est lié à iCloud chez un utilisateur dans la pratique.
Mais où gagner de l’argent ? Sur le matériel, comme depuis quelques années. Quand je vois des gens qui prédisent la fin des Mac et pensent qu’Apple va proposer Mac OS X sur PC, je rigole (bon, j’avoue, j’y ai pensé aussi) : la stratégie actuelle montre que c’est exactement l’inverse qui est en cours. Le logiciel et les services, au vu des dernières nouveautés, c’est un cheval de Troie, un argument marketing très efficace, pour vendre du matériel. Parce qu’un Mac, ça rapporte. Un iPhone, un iPad, un iPod, ça amène de l’argent dans les caisses, et pas qu’un peu. Un Mac OS, même à la grande époque, ça apporte assez peu finalement, et surtout ça se pirate. Piratez un MacBook Pro, c’est tout de suite moins pratique.
Effet pervers de cette solution, il va falloir lutter contre le piratage, tout du moins au niveau du système d’exploitation. Sous iOS, ce n’est pas un problème : on ne peut pas (encore ?) installer iOS sur autre chose qu’un iPhone et le jailbreak fait perdre de l’argent aux gens qui travaillent avec Apple, pas à Apple directement. Pour Mac OS X, c’est plus gênant : une personne qui va pirater Mac OS X Lion, ce sera pour l’utiliser sur un Hackintosh, et donc c’est une vente de Mac en moins. En fait, un utilisateur Mac qui va pirater Mac OS X, Apple s’en moque un peu : la perte sèche est faible. D’une part parce que c’est marginal, vu le taux de renouvellement des machines, ensuite parce que de toute façon la perte est faible vu le prix de vente. Mais pour le Hackintosh, je suppute qu’Apple va réagir et le passage obligé par le Mac App Store est déjà un indice : c’est un rien plus compliqué que de copier un bête DVD (même si pour le moment, il suffit de graver l’image). Je ne sais pas trop si les Hackintosh sont réellement populaires, mais ils représentent une perte pour Apple, dans un sens.
La question à se poser est simple : est-ce que ça va continuer ? Est-ce qu’Apple va proposer, à terme, ses logiciels et ses services gratuitement aux utilisateurs de ses appareils ? Je ne pense pas qu’on arrive à quelque chose d’aussi extrême, simplement pour de basses raisons de coûts, mais oui, pour moi Apple va de plus en plus (encore plus) essayer de vendre du matériel cher en mettant en avant du service/logiciel pas cher et — surtout — efficace. Et si possible — visiblement — en diminuant le coût du logiciel et en augmentant le prix du matériel.
Et je rappelle que c’est une méthode qui a bien marché pour Google et ses partenaires, avec un Android plus ou moins gratuit, et que les stratégies des autres semblent moins efficaces : Windows Phone 7 est un échec pour le moment, RIM est en perte de vitesse à cause d’un OS technologiquement en retard, Nokia est dans les limbes à cause d’un Symbian bien trop perfectible, etc. Apple garde tout de même un avantage, tant dans la téléphonie que les tablettes ou l’informatique : si Google et Apple propose des OS très convaincants, des développeurs très présents, des services attrayants, Apple garde un énorme avantage sur le matériel, parce que Google doit s’appuyer sur des partenaires pour les appareils. Et si un HTC Sensation ou un Galaxy S II tiennent sans problème la dragée haute à un iPhone 4, la majorité des ventes se font sur du HTC Wildfire ou du Xperia (et oui).