Quand j’étais petit, je n’avais pas de console de salon, mais j’avais un·e Game Gear (et un Game Boy). J’avais racheté une console pour tester le tuner il y a quelques années, et récemment, je suis tombé sur une ROM qui ne fonctionnait pas. Après quelques recherches, j’ai trouvé l’explication : certains jeux Game Gear sont des jeux Master System.
Ce n’est pas très intuitif, mais je vais expliquer le problème. Sega, en créant sa console portable, n’est pas parti d’une feuille blanche. Techniquement, la Game Gear ressemble énormément à la Master System, la console de salon 8 bits de la marque. Le CPU est le même (un Z80), le « GPU » aussi (il s’appelle le VDP et dérive d’une puce Texas Instruments) et globalement les deux machines sont extrêmement proches techniquement. Mais pas identiques.
Un problème d’écran
Une Master System, dans la majorité des cas, affiche une image de 256 pixels de large et 192 pixels de haut. Certains jeux utilisent un mode différent (256 x 224) mais on va considérer le cas le plus courant. La console peut afficher 32 couleurs à l’écran, avec une palette de 64 couleurs (6 bits). Le tout sur un écran de télévision avec une fréquence de rafraichissement de 60 Hz (NTSC) ou 50 Hz (PAL). La Game Gear, elle, dispose de son propre écran LCD. Il fonctionne à 60 Hz avec une définition de 160 x 144. C’est significativement moins et pas le même rapport hauteur/largeur. En dehors de la définition, la principale différence vient du nombre de couleurs : 32 affichables à l’écran, dans une palette de 4 096 (12 bits). Cette différence implique que du code pensé pour la Master System (couleurs en 6 bits) passe sur une Game Gear, mais pas le contraire.
Les jeux Game Gear qui sont des jeux Master System
Cette compatibilité (presque) directe a simplifié le développement des premiers jeux de la console portable : il s’agit de jeux Master System dans une cartouche de Game Gear. Il en existe une grosse quinzaine, la liste est là. Ce mode de fonctionnement a évidemment un impact : d’une part les titres en question se limitent à la palette de couleurs de la Master System (plus faible) et d’autre part l’image est downscalé du 256 x 192 au 160 x 144. Ce mode de fonctionnement pose des soucis dans les émulateurs, ce qui m’a fait découvrir cette bizarrerie : dans la majorité des cas, si le jeu a une extension .gg
(qui indique une ROM Game Gear), ça fonctionnera mal ou pas du tout. Le simple fait de changer l’extension pour .sms
(Master System) permet souvent de lancer le jeu, mais avec un rendu qui n’est pas celui de la console portable. Il existe au moins un émulateur qui gère ça, j’en parle dans la suite.
Le cas du Master Gear Converter
Sega soignait pas mal la rétrocompatibilité à l’époque, et des accessoires existent pour lancer les jeux Master System sur d’autres consoles. Il y en a un pour la Mega Drive (qui intègre un Z80 et un GPU avec une compatibilité Master System) mais aussi un pour Game Gear. Le Master Gear Converter se place dans le port cartouche de la Game Gear et permet ensuite de brancher un jeu Master System. Cette solution rend la portable encore moins portable et pose quelques soucis au niveau de l’image, mais elle permet aussi d’augmenter facilement la ludothèque de la console. Ça peut poser des soucis avec les jeux PAL sur la Game Gear, mais ça reste en général des problèmes de vitesse et en pratique, le jeu ne sera plus rapide sur la Game Gear, mais plus lent sur la Master System. En effet, les jeux sont généralement pensés pour du 60 Hz et ralentis en Europe. Du coup, en mettant une cartouche PAL dans une Game Gear, on revient à la vitesse d’origine.
Mais comment ça marche ?
Je me suis quand même posé une question : comment ça marche ? La réponse se trouve là. Premièrement, les cartouches de ce type (et l’adaptateur) forcent la Game Gear dans un mode de compatibilité via une broche du connecteur d’extension. Le jeu génère une image en 256 x 192 (pour simplifier).
Première étape, la console coupe 8 pixels de chaque côté, pour obtenir une image en 240 x 192. La différence est normalement peu visible.
Deuxième étape, la console passe de 240 pixels de large à 160 pixels de large en compressant les pixels. Un pixel classique est composé de trois couleurs : rouge, bleu et vert. Avec 3 pixels, on a donc B1G1R1 B2G2R2 B3G3R3. Pour passer à 160 pixels, la console supprime une partie des couleurs : B1G1R2B2G3R3. 3 pixels de l’image générée ne prennent plus que 2 pixels sur l’écran de la console (donc 160 pixels de large au final). Cette solution a le gros défaut de créer un effet d’arc-en-ciel affreux sur les textes. En fait, c’est efficace quand le jeu affiche une couleur « pleine » (i.e. du rouge par exemple) mais pas quand il affiche une teinte intermédiaire. L’étape suivante est de compresser 3 lignes en 2 lignes. Au final, on obtient une image en 160 x 128.
La dernière étape est d’ajouter deux barres noires de 8 pixels en haut et en bas pour obtenir une image en 160 x 144, la définition de l’écran de la console. On peut d’ailleurs détecter facilement les jeux qui utilisent cette technique à cause des bandes noires, justement.
Cette solution amène du flou et des artefacts, en plus d’une perte d’informations, mais c’est globalement invisible sur l’écran de la console. D’abord parce qu’il est petit, ensuite parce qu’il est assez mauvais. Dans un émulateur, par contre, c’est assez affreux. Actuellement, le seul émulateur capable de le faire est Cogwheel. Uniquement disponible sous Windows, il dispose d’une option (Simulate Game Gear LCD Scaling) qui effectue les différentes étapes. Attention, ça ne fonctionne qu’avec les ROMs des jeux qui font ça dans la réalité.
Le cas Castle Of Illusion
Pour tester, j’ai utilisé un jeu que j’aime bien qui se trouve facilement : Castle of Illusion starring Mickey Mouse. Premier point, si la cartouche Game Gear est bien un titre Master System, les deux jeux ne sont pas identiques. La version Game Gear offre une image plus claire (la palette n’est pas la même) plus adaptée à l’écran de la console, et la police de caractères choisie pour les écrans de texte gère mieux le redimensionnement. On voit toujours les artefacts sur les textes quand on s’approche, mais beaucoup moins que quand on lance la cartouche Master System sur Game Gear. Ensuite, et je suppose qu’il y a d’autres différences de ce type dans le jeu, il y a quelques différences pratiques. La version Master System propose par défaut de jouer en mode facile (practice) quand la variante Game Gear, elle, préfère le mode normal.
Dans tous les cas, le résultat reste nettement moins bon visuellement qu’un Land of Illusion Starring Mickey Mouse (sa suite). Et je ne résiste pas à un peu de moquerie gratuite : ce texte qui explique que le jeu utilise parfaitement toute la palette de couleurs de la Game Gear.
Pour terminer, Sega, c’est plus fort que toi.
Et moi je rétorque avec SIDA C’EST PLUS FORT QUE TOI !
https://www.youtube.com/watch?v=EDcQxd2Geqc