En lisant un sujet sur les idiophiles, je suis tombé sur une question intéressante, celle des technologies qui permettent d’éviter le décrochage sur les lecteurs portables (et probablement dans les voitures). Et j’ai découvert que dans pas mal de cas, cette « protection » dégrade le son.
Je ne m’étais jamais vraiment intéressé à la question, mais c’est finalement assez logique. La base de ce genre de protection (G-Protection chez Sony, dont on va parler) est simple : le lecteur de CD place les données dans une mémoire tampon et lit depuis cette mémoire tampon. Le minimum pour que ça fonctionne va donc être une puce de mémoire et un lecteur de CD capable de lire au moins en 2x. L’idée va être de lire plus vite, donc stocker deux secondes de musique quand on en lit une.
Le problème principal, qui va dépendre un peu de l’âge du lecteur, vient de la puce de mémoire. Une seconde de musique nécessite environ 176 ko de stockage. Pour une dizaine de secondes de tampon, il faut donc une puce de 2 Mo (16 mégabits). Mais dans les années nonante, la mémoire restait assez cher et les fabricants ont donc tenté de trouver une solution : la compression. De ce que j’ai compris, une bonne partie des lecteurs des années nonante compresse le son en ADPCM dans le tampon, ce qui permet de le réduire à 512 ko (4 mégabits). Il y a un peu d’explications dans ce papier sur des puces Texas Instruments, par exemple.
Pourquoi pas du MP3, de l’ATRAC ou un codec connu ? Pour réduire les coûts, encore une fois. L’ADPCM est une compression très simple à mettre en oeuvre matériellement alors que pour du MP3, il encoder et décoder en parallèle. Le fonctionnement est d’ailleurs assez simple : au lieu de stocker chaque échantillon de 16 bits, en ADPCM on stocke la différence entre deux échantillons successifs sur 4 bits, donc on divise la bande passante par quatre. Cette compression implique des pertes de façon évidente, peut amener du bruit de quantification et la différence entre la version originale et l’ADPCM est audible avec du matériel correct.
Dans les faits, il faut prendre en compte plusieurs choses. Premièrement, la différence est audible, mais pas nécessairement dans un environnement bruyant avec des écouteurs basiques, c’est-à-dire avec un lecteur de CD portable en déplacement. Deuxièmement, cette compression a un avantage : elle réduit la consommation du lecteur. C’est très audible avec mon vieux Sony D-EJ785 : on entend la mécanique fonctionner par cycle. Elle tourne, remplit le tampon, ralentit, se relance, etc. Dans la notice, le gain est évident : on a en gros 50 % d’autonomie en plus.
Dernier point à prendre en compte, la compression va dépendre du lecteur et surtout de son âge. Sur les lecteurs des années 2000, on voit parfois une double protection : un mode avec une dizaine de secondes de protection, et un second avec une quarantaine de secondes. Dans ce cas de figure, le premier mode ne compresse probablement pas, alors que le second le fait. La raison de cette différence est financière : dans les années 2000, installer une puce de 2 Mo devenait raisonnable au niveau du prix, et ça permet de stocker ~11 secondes en PCM ou ~46 secondes en ADPCM.
Est-ce audible ?
J’ai sorti un Walkman Sony (un D-EJ785) avec un CD pour vérifier. A l’oreille avec un casque, je ne fais pas vraiment la différence mais je n’ai jamais été très fort pour ça, surtout avec des EarPods… Pour comparer un peu plus « scientifiquement », j’ai tenté un essai : comme le Walkman a une sortie optique, j’ai enregistré deux fois une piste sans la protection, puis une fois avec la protection pour comparer. Pourquoi deux fois sans ? pour vérifier que la sortie fonctionne bien.
Pour comparer deux pistes, Audacity est suffisant. Il faut importer les deux, inverser une des deux (Effets -> Inverser) puis sélectionner les deux et les mixer (Pistes -> Mix -> Mix et rendu vers une nouvelle piste). Si les pistes sont identiques, vous obtiendrez une ligne droite.
Si les pistes sont différentes, vous n’aurez pas une ligne droite, forcément, mais la différence entre les deux. C’est bien le cas quand je compare la piste enregistrée avec la protection et celle enregistrée avec la protection activée.
Pour ceux que ça intéresse, j’ai mis les deux pistes en ligne. La première est en PCM, la seconde en ADPCM (enfin, plus exactement, c’est l’ADPCM décompressé par le lecteur).
Accessoirement, c’est intéressant sur un point dans l’absolu : quand on se moque des audiophile, on peut parfois dire que tous les lecteurs CD se valent, mais ce n’est donc pas totalement le cas : même avec un lecteur qui a une sortie numérique (comme ici), certains réglages peuvent induire des différences inattendues qui ne sont pas nécessairement connues.
Mind blown.
Effectivement en scénario de mobilité l’impact concret est théoriquement limité, ou inaudible, mais les notices faisaient-elles une mention vague ou équivoque sur l’impact qualitatif ?
Twist : quid des lecteurs MD ? Sait-on si certains modèles utilisaient également l’ADPCM ou stockaient-ils directement le flux ATRAC ?
« En lisant un sujet sur les idiophiles…»
C’est volontaire ?
@batspray : oui, parce que c’est littéralement le cas
@fneuf : j’ai vu certains manuels qui l’indiquaient (ce n’est pas le cas du mien).
Pour les MD, a priori ce n’est pas le cas, c’est l’ATRAC qui était directement dans la mémoire.
ah ben merci pour cette info !