Pour une fois, on va parler un peu de moi, parce que j’ai eu l’occasion grâce à mon boulot de jouer avec l’Apple Vision Pro pendant une semaine.
Je ne compte pas faire un test du casque, pour plusieurs raisons. D’abord, mes collègues l’ont très bien fait sur WatchGeneration. Ensuite, je ne l’ai eu qu’une semaine, et il n’est pas disponible en France, donc il y a des limites majeures pour un test : il faut un compte Apple américain et l’interface est en anglais. Le compte Apple est réellement un souci en Europe, ne serait-ce que pour les paiements : sans moyen de paiement valide, je n’ai pas pu tester les versions d’essai des services Apple. Enfin, le problème principal, je n’avais pas les corrections optiques nécessaires.
Je peux tout de même donner un avis rapide : c’est efficace. La qualité d’image est très bonne de ce que j’ai pu voir (on va en parler), le casque est confortable et pas trop lourd (ça ne m’a pas trop gêné) et l’interface assez intuitive quand elle fonctionne. Ce n’est vraiment pas un produit parfait pour autant : le suivi des mains est par exemple assez mauvais. Mais tant que vous ne prenez pas le casque pour ce qu’il n’est pas — c’est-à-dire un concurrent des casques de joueurs de Meta ou Sony —, tout ira bien. C’est un bon produit pour regarder des vidéos, travailler, s’amuser un peu. Et je dois mettre l’emphase sur la vidéo : contrairement aux autres casques, il y a du contenu natif, avec l’application Apple TV qui propose (un peu) de contenu dédié immersif et Disney+ qui a pas mal de films en 3D pour ceux qui aiment ça.
L’interface elle-même est assez efficace, même si j’ai quand même dû brancher un Magic Trackpad pour certaines tâches : surfer juste avec les yeux est vraiment trop compliqué. Et je pense qu’un clavier n’est évidemment pas de trop si vous comptez travailler.
Un gros problème visuel
Mon problème est simple : j’ai une mauvaise vue, avec trois problèmes. Le premier, c’est que je suis hypermétrope et astigmate. C’était un problème important avec le casque que j’ai testé, pour une bonne raison : le casque a été acheté aux États-Unis sans les lentilles de correction. Entendons-nous bien : un client américain peut acheter des lentilles correctrices à placer dans le casque au moment de l’achat, mais elles nécessitent une ordonnance et valent 150 $. Sous réserve que Zeiss (le fournisseur d’Apple) puisse adapter la correction, ce problème n’en est donc pas un… sauf dans mon cas.
Le principal problème va venir d’un rendu extrêmement flou : sans correction, je peux difficilement lire un texte de taille normale. Et donc je peux difficilement lire le contenu d’une fenêtre dans le casque. L’interface reste à peu près utilisable, mais c’est totalement inadapté à une page dans Safari ou à l’affichage de l’écran d’un Mac. Je peux difficilement le montrer, par ailleurs : les captures effectuées dans le casque sont évidemment nettes. Point lié et même amplifié, le rendu pass-through est extrêmement flou. Dans mon cas, le rendu de mon environnement extérieur dans le casque — capturé par les nombreuses caméras — est plus flou que dans la réalité, même sans mes lunettes. C’est un peu bizarre, mais des choses qui sont floues mais lisibles sans mes lunettes sont totalement illisibles dans le casque. Je suppose que le problème devrait se régler avec des lentilles correctrices, mais je n’ai pas pu le vérifier.
Mon second problème est un léger strabisme, que je corrige de façon inconsciente une bonne partie du temps. C’est un problème bien plus insidieux, car le casque nécessite de viser de façon précise certains éléments avec les yeux. Pour se déplacer dans les menus, pour taper du texte sans clavier, pour faire apparaître le centre de contrôle et pour de nombreuses autres tâches, vous avez besoin d’avoir un regard qui vise le bon endroit.
Dans mon cas, ce n’est pas un problème tant que je ne suis pas trop fatigué… et ça le devient ensuite. De façon assez évidente à l’usage, je ratais beaucoup plus de manipulations le soir, quand la fatigue m’empêche de corriger inconsciemment mon strabisme léger. C’est un problème particulièrement visible pour le centre de contrôle, qui nécessite de regarder un point assez précis dans l’espace : le casque ne détectait pas mon regard le soir. Je n’ai pas trouvé de solution évidente pour ce problème.
La première, basique, consiste à fermer un œil, ce qui n’est pas très pratique. La seconde, moins évidente, consiste à recalibrer le casque en soirée, avec le risque qu’il ne fonctionne pas le reste du temps. Je ne sais pas si les gens de chez Apple ont conscience du souci ni si je suis un cas vraiment particulier sur ce point, mais la détection des mouvements de l’œil m’a semblé perfectible en temps normal (ou tout du moins laborieux) et à la limite de l’inutilisable en soirée dans mon cas. Il reste par ailleurs une troisième solution, mais qui casse un peu la magie : tout contrôler avec le Magic Trackpad sans passer par les yeux.
Un problème de relief
Mon dernier problème ne bloque pas tellement l’utilisation du casque, mais le rend peu intéressant : je ne vois pas en relief. C’est quelque chose de compliqué à expliquer pour deux raisons simples : vous voyez probablement en relief et vous ne pouvez pas imaginer comment je vois… et je ne vois pas en relief et je ne peux pas imaginer comment vous voyez. De façon extrêmement schématique, je vois tout comme une photo, sans notion de profondeur. Plus exactement, je peux estimer la position dans l’espace (et donc la profondeur) mais essentiellement par le contexte, de la même manière que vous pouvez voir où se trouve une personne sur une photo.
Dans le casque, qui joue beaucoup sur des effets de relief, c’est donc un peu gênant. Le cas le plus évident vient des films en 3D proposés sur Disney+ : je ne vois absolument aucune différence entre la version 3D et la version classique. La bonne nouvelle, c’est que je ne me retrouve pas comme au cinéma, où je dois tout de même porter les lunettes (et donc perdre en luminosité) pour voir une seule image. Sans lunettes, comme vous, je vois bien deux images séparées. Pour l’anecdote, j’ai fait pas mal de salons pendant l’âge d’or de la 3D (dès les débuts de 3D Vision chez Nvidia, vers 2010) et j’ai eu un nombre incommensurable d’attachés de presse et autres vendeurs qui m’assuraient qu’avec leur technologie géniale, ça allait marcher (spoiler : non).
Apple joue aussi beaucoup sur les environnements immersifs dans le casque, qui le sont moins pour moi : je suis devant une grande photo qui prend tout mon espace visuel. Dans la démonstration à base de dinosaures mise en avant par Apple, l’effet n’est pas celui attendu (qui est normalement un « waouh »). Il y a un papillon qui vole au début, puis des dinosaures et ils restent désespérément plats pour moi. Le côté amusant de la chose, c’est que je vois parfaitement ce que le programme essaye de faire, parce qu’ils sortent littéralement du cadre, mais je n’ai aucune perception de la profondeur. Je peux donc estimer qu’ils se rapprochent (ne serait-ce que parce qu’ils changent de taille), qu’ils sortent du cadre (parce que c’est évident visuellement) mais c’est tout. Je suis absolument incapable de déplacer ma main pour interagir avec eux pour une bonne raison : je suis incapable d’estimer à quelle distance ils se trouvent.
Dans ce que j’ai pu tester, le problème du relief est d’ailleurs peut-être le plus anecdotique, dans le sens où ce défaut ne me gêne pas pour utiliser le casque, mais aussi le plus important : une partie de l’expérience du casque repose sur les effets de relief.
Pour conclure, je suis tout de même devant une grosse interrogation : le casque n’est clairement pas pour moi à cause de mes défauts visuels, mais je ne suis pas une exception. Les personnes avec les trois défauts en même temps sont rares — même si l’absence de vision binoculaire et le strabisme sont habituellement liés — mais les problèmes de vue ne le sont pas réellement. Je me demande donc quelle est la proportion de gens (même à la grosse louche) qui va se retrouver avec des problèmes dans le casque d’Apple, et jusqu’à quel point « le futur de l’informatique » va mettre sur la touche une partie de la population.
D’une manière générale, les questions d’accessibilité m’intéressent (pour des raisons pro, mais pas que) et je suis preneur d’autres articles comme celui-ci. Si tu as la proportion de personnes touchées par les défauts de perception de profondeur je suis preneur d’ailleurs.
Au passage et concernant le strabisme, c’est un handicap assez fréquent et il est évident qu’ils vont devoir plancher dessus s’ils espèrent faire du casque un produit vraiment grand public.
La perception du relief est un problème plus courant que l’on pense. Je m’en suis apercus avec la mode du 3D et en discutant avec plusieurs personnes.
Personnellement étant porteur de lunette, je pensait des le départ que ce type de produit était pas pour moi; même si Apple a penser au moins a la possibilité d’inclure de verre correcteur.
Effectivement, en cumulant les défauts, tu ferrais un bon testeur pour ce type de produit. Ils faudra ajouter des réglages pour pouvoir utiliser ce type de produit malgré ses handicaps, tous comme sur l’iPad, il y a des réglages Accessibilité
Merci pour cet article !
J’espère que vous ferez un nouveau test quand vous aurez pu essayer le Vision Pro en France.
J’ai eu la chance de tester le Vision Pro à l’Apple Store de la V° avenue à New York, et je me garderais bien d’avoir un avis définitif sur ce produit…
Pour l’essai, on a mesuré les corrections de mes lunettes, et le personnel Apple a apporté deux lentilles Zeiss fixés par un anneau magnétique.
La suite de la démonstration a été vraiment fantastique, à tous points de vue et mes regrets, c’est la durée trop courte (25 mn) et le fait que mon interlocuteur avait un débit de mitraillette, rendant son anglais difficilement compréhensible…
Je referai un test à Paris quand ce sera possible pour retrouver cet effet « wahou »
À mon âge (72 ans) être un « vieux geek »comme m’appellent mes enfants est un vrai plaisir !
Pour le problème de strabisme et de qualité du tracking, la solution est théoriquement assez simple : ne tracker que l’œil qui « vise bien ».
Je suis un grand utilisateur d’eye trackers depuis une 15aine d’années, en général on cherche à tracker les 2 yeux pour une question de redondance de la donnée et un petit peu plus de précision, mais on peut très bien s’en passer. Il vaut mieux 1 seule source de données fiable plutôt qu’en ajouter une 2e qui est mauvaise. Ici, avec un tracking aussi proche de l’oeil, ça ne devrait pas poser de problème d’en avoir un seul.
On perdrait la possibilité de tracker la profondeur du point de regard (Z) qui se fait à partir du point de convergence des yeux, mais l’usage est anecdotique, à ce jour assez imprécis, et visiblement dans ton cas, ça n’apporterait rien !