J’ai hacké The Phone, un smartphone pour les collégiens

Si vous avez suivi un peu l’actualité tech (et pas que) en avril 2024, vous avez peut-être vu l’histoire du téléphone The Phone. Un smartphone « pour collégien » sans Internet, mis en avant par Le Parisien. J’en ai acheté un… et je l’ai connecté en une grosse matinée. Et je ne suis pas ce que l’on peut appeler un hacker ni un spécialiste d’Android.

Je vais commencer par une présentation succincte. C’est un smartphone bas de gamme sous Android, qui ne donne pas trop confiance sur la qualité. L’appareil photo est caché, c’est du plastique à tous les étages et la qualité perçue est faible. Mais à 100 €, on va dire que c’est normal. Au déballage, je le trouvais léger… et pour une bonne raison : la batterie n’est pas dans le smartphone. En 2024. Après avoir cherché un peu comment l’ouvrir (le manuel, écrit en police 0,5, indique juste de déclipser la coque). Pour la taille, ce n’est pas une blague : je n’ai pas réussi à lire les caractères sans une loupe avec mes yeux d’un peu plus de 40 ans.

Une idée de la taille du texte du manuel.


La batterie n’est pas dans le smartphone.

Le smartphone arrive avec un chargeur USB-A, un câble USB-A vers USB-C et des écouteurs basiques. Comme souvent dans les trucs cheap, il ne charge pas sur un chargeur USB-C Power Delivery (la majorité) parce qu’il n’a probablement pas les résistances pour activer la charge, donc il faut garder le chargeur (ou un USB-A quelconque). C’est embêtant, mais habituel à ce niveau de prix.

Une caméra bouchée et une prise jack


Le dos

Sur le site, je suis « prepro_Admin » (pas très sérieux)

L’interface

Bon, sur l’interface, les promesses sont tenues. On a quatre icônes, pour téléphoner, envoyer des SMS avec des emojis moches, gérer les contacts et modifier quelques réglages. On peut choisir un thème, mettre un mot de passe, choisir une sonnerie (il y en a cinq…), choisir la taille des polices (de petit à grand), changer la langue (anglais, français, espagnol) et afficher quelques infos. N’espérez pas d’informations sur la version d’Android ou le reste ici.

L’interface avec les trois applications de base


Les rares réglages

Sur le coup, c’est basique, efficace pour la cible théorique (qui n’existe pas) et il est impossible de surfer, photographier, etc. Pas de réseaux sociaux, pas de Whatsapp, rien. C’est un appareil pour faire plaisir aux parents paranoïaques qui ne comprennent pas le 21e siècle. C’est juste un téléphone à touches d’il y a 15 ans avec un écran tactile, en gros. On peut éventuellement penser que le format smartphone va éviter les jalousies/remarques et autres, mais ça n’a à mon avis aucun sens. Mais comme je ne suis pas parent, je me trompe peut-être. Mais je crois qu’un collégien qui demande un smartphone et reçoit ça, il ne va pas aimer.

Hacker le smartphone

Je ne suis pas hacker et je ne connais pas bien Android. J’utilise le système de Google de temps en temps pour le blog, et j’ai parfois testé des smartphones dans mes anciens boulots. Et j’ai réussi à activer le Wi-Fi et lancer des applications en une grosse matinée.

Je vais vous passer les détails des recherches, c’est essentiellement un peu de recherches sur Google, beaucoup de reboot et un peu de réflexion. La méthode, elle est en fait assez simple : un code secret d’Android. Vous allez arriver sur une interface de test avec une 🔍 en haut à droite… qui donne accès à une bonne partie des fonctions d’Android.

Mise à jour : la marque m’a contacté, donc pour être gentil, je supprime le code de la page, mais ça reste extrêmement simple à trouver.

Le code magique (censuré)

Juste en tapant wi, vous aurez Préférences Wi-Fi dans la liste, pour activer le Wi-Fi (la société indique que le Wi-Fi a été coupé physiquement, c’est manifestement faux).

Le Wi-Fi

En cherchant un peu, il est aussi possible de lancer A propos du téléphone. On apprend donc qu’il est sous Android 11 (2020 a appelé) avec 2 Go de Bélier (pardon, RAM). En tapant sept fois sur Numéro de build, tout en bas, vous pourrez passer en mode développeur. Sur la capture, je suis déjà en mode développeur.

Quelques infos

Ensuite, vous pourrez aller dans Options pour les développeurs. Là, il suffit d’activer le Déboguage USB et éventuellement le Déboguage sans fil.

Maintenant, il suffit de connecter le smartphone en USB (à un Mac dans mon cas), d’installer les outils de Google et de s’amuser avec les commandes adb. Comme c’est mon truc, j’ai commencé par installer CPU-Z. La commande est simple.

adb install nom_de_l_apk

Ensuite, toujours dans le champ de recherche, vous devriez voir l’application avec la possibilité de la lancer. Le SoC est un truc basique avec quatre Cortex A7 à 1,3 GHz, 2 Go de RAM, 16 Go de stockage et un écran en 960 x 480. La bonne nouvelle, c’est qu’Android semble à jour pour la sécurité (mai 2024).

CPU-Z

J’ai ensuite testé WhatsApp, qui propose directement l’APK. Ça fonctionne, mais sans appareil photo et avec un petit défaut : il est impossible de quitter sans redémarrer (en pressant le bouton d’allumage) et effectuer la manipulation expliquée plus haut.

WhatApp

J’ai aussi testé Apple Music et même Firefox, parce qu’ils fournissent directement l’APK.

Firefox et Apple Music

Ensuite, j’ai tenté Fortnite. Il nécessite malheureusement un Android 64 bits, mais Fall Guys, lui, s’installe. Il faut un navigateur pour se connecter (c’est important, et Firefox fait le job) mais ensuite ça marche. Lentement et avec des bugs (c’est assez instable), mais c’est lié à la plateforme matérielle franchement légère.

Pas de Fortnite


Plus ou moins Fall Guys

Enfin, j’ai essayé PUBG Mobile, qui fonctionne. J’ai pu jouer un peu, là aussi lentement, mais sans plantages.

PUBG Mobile

Plus largement, on peut lancer à peu près n’importe quelle application Android qui est disponible en APK et certains vont probablement proposer un moyen plus rapide que ma méthode, je n’en doute pas. Le smartphone est léger avec 2 Go de RAM et son antique Cortex A7, mais ça reste à peu près utilisable.

Mise à jour : j’en avais cité d’autres, mais comme elles ne sont pas ditribuées officiellement en APK, j’ai supprimé la liste.

Le matériel

Deux derniers points, plus matériels. Il y a d’abord un emplacement microSD. Il n’est pas noté sur le site du fabricant et n’est pas accessible avec les maigres outils de base, mais il suffit d’installer un gestionnaire de fichiers pour y accéder. J’ai trouvé une drôle de vidéo sur le téléphone, d’ailleurs.

On peut copier les données vers une carte microSD


Avec une microSD


La vidéo

Pour l’appareil photo, je me posais la question de sa présence. Les logiciels ne le voient pas, mais j’ai vérifié de façon pragmatique, en démontant l’arrière. Sous le cache, il n’y a rien. Donc si le Wi-Fi est bien présent (il fait partie du SoC a priori), l’appareil photo est bien absent.


Pas de caméra

Dans tous les cas, vous avez compris, c’est tout de même assez trivial d’installer des applications. Il y a de bons points, comme une version d’Android un peu ancienne mais à jour sur la sécurité et l’absence d’appareil photo. Mais le reste est risible sur la sécurisation. Et encore une fois, à titre personnel, je trouve ce concept idiot, comme celui des tablettes pour les enfants (ou pour les vieux). Un appareil moderne avec une interface standardisée a bien plus de sens, et il suffit d’utiliser le contrôle parental pour éviter que vos enfants fassent n’importe quoi.

Mais surtout, je vais le rappeler, j’ai réussi à installer des jeux, WhatsApp (etc.) en quelques heures alors que ce n’est pas du tout ma spécialité. Et maintenant, les collégiens qui chercheront sur Google trouveront peut-être même une méthode…

Dernier point, même en le hackant, ça reste évidemment très limité. Si vous avez besoin d’un smartphone d’entrée de gamme, il y a plein de trucs bien mieux que cet appareil sans appareil photo avec un OS limité. Mais vous devrez apprendre à utiliser le contrôle parental et faire confiance à vos enfants.